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Les allergies professionnelles

Des professionnels très réactifs

Au travail, les atteintes allergiques, cutanées ou respiratoires, sont fréquentes et néanmoins méconnues et peu déclarées. Les conséquences socio-économiques peuvent pourtant être lourdes, ces pathologies étant susceptibles notamment de conduire à une inaptitude des salariés touchés. Leur prévention, identique à celle mise en œuvre contre les risques chimiques ou les risques biologiques, est une nécessité.

5 minutes de lecture
Grégory Brasseur, Céline Ravallec, Corinne Soulay - 12/12/2022
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Produit de coloration capillaire

Dès l’apprentissage et tout au long d’une carrière, les allergies professionnelles, cutanées ou respiratoires, peuvent frapper à n’importe quel moment. Elles font partie des pathologies professionnelles les plus fréquentes mais demeurent peu connues. Leurs conséquences sont d’ailleurs largement sous-estimées : être allergique peut nécessiter de changer de mode de vie, d’environnement et parfois de profession. C’est au contact, le plus souvent répété, de substances dites sensibilisantes qu’une réaction allergique peut survenir. Chez les sujets sensibilisés, une réaction allergique peut être déclenchée après un nouveau contact et à chaque exposition, même à de faibles doses.

« On distingue deux grands types d’allergies professionnelles : les allergies cutanées – dermatites de contact allergiques ou eczéma, urticaires de contact et dermatites de contact aux protéines – et les allergies respiratoires, essentiellement des asthmes ou des rhinites allergiques, explique Nadia Nikolova-Pavageau, experte d’assistance médicale à l’INRS. L’asthme est la pathologie respiratoire professionnelle la plus observée dans les pays industrialisés. Il existe des asthmes dits professionnels (ou asthmes causés par le travail) dont les asthmes allergiques, mais aussi des asthmes préexistants chez les salariés, qui peuvent être aggravés par une exposition professionnelle. » Ces affections touchent des sujets jeunes, 35 ans en moyenne pour l’eczéma, 40 ans pour l’asthme professionnel, selon le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P).

« La survenue d’une allergie peut avoir un fort retentissement sur l’avenir professionnel. »

« Dans la survenue d’une allergie, il y a toujours une phase de sensibilisation, sans aucune manifestation visible cliniquement, observe Marie-Noëlle Crépy, dermatologue dans le service de pathologies professionnelles et environnementales de l’Hôtel-Dieu, à Paris. L’expression de l’allergie dépend ensuite de la concentration d’allergènes, de la durée d’exposition et de facteurs extérieurs. » Les boulangers, les coiffeurs, les agents de nettoyage, les ouvriers du bâtiment, le personnel de santé, certains salariés de l’industrie ou encore les professionnels en contact avec les animaux figurent parmi les professionnels les plus concernés.

Des pathologies sous-déclarées

Il y aurait plus de 450 agents responsables d’allergies en milieu professionnel, selon les spécialistes, le plus souvent chimiques, mais aussi biologiques. Un chiffre en constante augmentation. Parmi les produits rencontrés en milieu de travail pouvant contenir des agents sensibilisants, on peut citer la farine, les produits alimentaires (du fait de la présence notamment de protéines végétales ou animales), les produits de coloration et de décoloration capillaires, les vernis semi-permanents utilisés en onglerie, les produits d’entretien (contenant des ammoniums quaternaires, enzymes, parfums…), les résines époxy ou encore les gants en caoutchouc. La liste est longue.

Boulanger

« La survenue d’une allergie peut avoir un fort retentissement sur l’avenir professionnel. Elle va nécessiter un aménagement de poste, parfois un reclassement ou une réorientation pour des salariés qui, du jour au lendemain, se retrouvent dans l’incapacité d’exercer leur métier. Les conséquences humaines peuvent être dramatiques », souligne Béatrice Dubois, ingénieure-conseil à la Carsat Normandie. Plusieurs tableaux de maladies professionnelles concernent les allergies.

En 2020, selon la Cnam, 166 nouveaux cas d’asthmes professionnels et 247 eczémas allergiques ont ainsi été reconnus comme maladies professionnelles. C’est peu et très largement sous-estimé, au regard des chiffres issus de la littérature scientifique. En effet, la prévalence des asthmes dans la population générale française adulte est estimée à 6 ou 7 %, d’après le RNV3P. Entre 16 et 18 % des cas seraient dus à des expositions professionnelles, faisant des asthmes la cause la plus fréquente de maladies respiratoires professionnelles. La part des dermatites de contact parmi les pathologies cutanées professionnelles serait par ailleurs de 70 à 90 % .

Réduire les niveaux d’exposition

La démarche de prévention des allergies professionnelles est identique à celle mise en œuvre pour prévenir les risques chimiques ou les risques biologiques. Avec, comme point de départ incontournable, l’évaluation des risques. Celle-ci nécessite d’étudier l’ensemble des produits et des matériaux présents sur le lieu de travail, mais également d’examiner les conditions de travail. « Quel que soit l’agent sensibilisant, la prévention des allergies en milieu de travail nécessite de réduire les niveaux d’exposition, en appliquant les principes généraux de prévention », insiste Nadia Nikolova-Pavageau. La priorité est de supprimer ou de substituer les agents sensibilisants quand c’est techniquement possible.

Ensuite, il faut adapter les méthodes de travail pour limiter les expositions et éviter le contact avec l’agent sensibilisant, en confinant les procédés ou en automatisant l’application de certains produits par exemple. Mais dans certains secteurs, chez les coiffeurs par exemple, c’est difficilement imaginable. « De manière générale, il est également conseillé d’éviter l’aérosolisation des produits, par exemple en remplaçant la pumvérisation d’un détergent ou d’un désinfectant par l’essuyage avec un chiffon imbibé d’une solution ou en remplaçant des produits sous forme de poudre par des produits sous forme de gels ou de pâtes, comme cela s’est fait pour les agents de décoloration utilisés en coiffure, reprend Nadia Nikolova-Pavageau. Dans le cas de la farine, en boulangerie, des évolutions importantes du matériel ont permis de réduire considérablement l’empoussièrement dans les fournils. »

Des EPI en complément

La mise en place de mesures de protection collective (aspiration localisée, ventilation générale), le nettoyage régulier des postes et des locaux, à l’humide ou par aspiration, vont également dans ce sens. « Attention aussi à certaines idées préconçues, met en garde Annabelle Guilleux, experte d’assistance conseil à l’INRS. Par souci écologique, on constate une poussée de produits d’origine naturelle dans de nombreux domaines et en particulier dans le domaine de la beauté. Or il est important de garder à l’esprit qu’une substance, qu’elle soit synthétique ou naturelle, peut présenter des dangers. Certaines huiles essentielles, par exemple, peuvent être à l’origine d’allergies cutanées potentiellement très invalidantes. »

On en revient à l’évaluation des dangers de chaque ingrédient : avant d’utiliser ces produits, il faut veiller à ne sélectionner que ceux qui sont exempts de substances qui auraient des propriétés allergisantes… ou d’autres effets toxicologiques. « Quant à l’usage de parfums d’intérieur ou de sprays contenant des huiles essentielles, vantés parce qu’ils purifieraient l’atmosphère, il est déconseillé. D’une manière générale, pour assainir l’atmosphère de travail, il faut ventiler les locaux », affirme Annabelle Guilleux.

L'AVIS DE...

Annabelle Guilleux, experte d'assistance-conseil à l'INRS

Des libérateurs de formaldéhyde étaient utilisés en tant que biocides dans de nombreux produits tels que les cosmétiques, les détergents, les fluides de coupe ou de nom breux produits en phase aqueuse dans le secteur du bâtiment… Dans le cadre de la prévention du risque cancérogène, ils ont été largement substitués ces dernières années par une autre famille de biocides, les isothiazolinones. Or, il s’agit d’agents sensibilisants puissants, à l’origine de nombreux cas d’allergies. Les biocides ont pour rôle d’empêcher la prolifération de micro-organismes dans le produit. Une solution pour éviter cette prolifération tout en prévenant les risques d’allergies serait de rechercher des dispositifs de conservation ne nécessitant aucun biocide : fabrication contrôlée pour éviter la contamination par des micro-organismes, conditionnement empêchant une contamination du produit par un élément extérieur (conditionnement unidose ou dans un flacon disposant d’une fonction antiretour).

En complément des mesures de protection collective, des équipements de protection individuelle peuvent être proposés, tels que des gants, des vêtements, des appareils de protection respiratoire. Attention toutefois à ne pas en faire une panacée. Les gants, qui peuvent eux-mêmes être à l’origine d’eczémas des mains, doivent être portés sur des périodes aussi courtes que possible, lors de certaines opérations exposantes.

Enfin, la formation et l’information des salariés restent primordiales, d’autant que le repérage des agents sensibilisants est souvent complexe. Dans le cas des produits chimiques, l’étiquetage et certains pictogrammes permettent de signaler la présence de substances potentiellement allergisantes. Mais tous les produits ne sont pas étiquetés : certaines substances d’origine animale ou végétale pouvant être à risque de sensibilisation ne font pas l’objet d’étiquetage.

De plus, le lien entre la survenue d’une allergie et une exposition professionnelle peut être difficile à établir. De nombreux allergènes utilisés dans le milieu professionnel le sont aussi dans la sphère privée. Lorsqu’un cas d’allergie est avéré, l’allergène en question doit non seulement être évincé du poste de travail mais également du domicile.

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